Quelle est la situation de la croisière après trois années de crise ?
Durant l’année 2022, 20,4 millions de personnes ont effectué une croisière dans le monde, contre 29,7 millions en 2019. Les compagnies se sont concentrées sur la remise en service de leurs paquebots, avec des taux de remplissage qui ont oscillé entre 60 et 70%. Certaines ont également céder des navires pour faire face à la crise et se désendetter, un phénomène qui devrait encore perdurer quelques années et contribue à l’émergence de nouveaux acteurs profitant de ce marché de l’occasion. 2023 devrait marquer un retour à la normale avec 31,5 à 32 millions de croisiéristes espérés, soit 106% du niveau de 2019. Au final, la croisière rebondit plus vite que le tourisme en général. En effet, l’organisation mondiale du tourisme prévoit un nombre de touristes internationaux en 2023 oscillant « seulement » entre 80 et 95% de celui de 2019. Sur le seul marché français, le 5ème en Europe derrière l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne, le nombre de croisiéristes est tombé à 325 000 l’an dernier, contre 545 000 en 2019, avec un âge moyen du croisiériste de 46,7 ans. Mais là encore, les signes de reprise sont tangibles, portés par les leaders tels que MSC, Costa ou Ponant, mais également l’arrivée prochaine de nouveaux acteurs, comme Compagnie Française de Croisières ou Exploris. Je ne dispose pas de données fiables sur le tourisme d’affaires mais c’est un marché que certaines compagnies développent.
On a crû la croisière coulée. Comment expliquez-vous ce rebond ?
Nous réalisons chaque année une enquête auprès des croisiéristes. 85% nous ont déclaré avoir l’intention de refaire une croisière dans les prochaines années, le meilleur score jamais enregistré ! Les données sont également positives chez les gens qui n’ont jamais fait de croisière. Ils sont 73% à déclarer vouloir prendre le large. En sortie de crise, les compagnies ont mis en place des protocoles très stricts que les passagers ont acceptés et qui ont permis de rassurer. Elles ont porté leurs efforts sur la qualité du service aux clients et ont réussi à reconstruire la confiance. Aujourd’hui, malgré l’inflation qui n’épargne pas le tourisme, la croisière reste un produit à l’excellent rapport qualité/prix, qui rassure par sa simplicité, combine le plaisir des vacances et l’envie de voyage, propose des expériences variées, notamment les gros paquebots qui permettent de satisfaire toutes les classes d’âge, les enfants comme les seniors. Nous constatons d’ailleurs une forte appétence pour les voyages intergénérationnels.
La crise a-t-elle eu un impact sur les commandes de paquebots ?
Parmi les membres de la CLIA, qui représente 90% de la profession, plus de 60 paquebots sont en commande pour les cinq prochaines années. Aucune commande n’a été annulée, certaines reportées, ce qui témoigne de la vitalité du secteur. A ce titre, rappelons que 93% des paquebots sont construits en Europe, notamment au Chantiers de l’Atlantique. Sans la croisière qui génère 80% de leur activité, ces chantiers seraient en grande difficulté. La tendance se partage à 50/50 entre la construction de paquebots capables d’embarquer plus de 4000 passagers, qui se concentrent sur la diversité des activités et l’expérience-client, et des navires de moins de 1000 passagers proposant une offre plus luxueuse, voire ultra-luxueuse, qui attire une clientèle nouvelle, parfois plus jeune. Le paquebot de moyenne taille n’est plus la norme. Nous constatons actuellement une pause dans les commandes, liée aux futurs choix énergétiques. La croisière s’est fixée pour objectif d’être zéro carbone en 2050 et les lois européennes sont en cours de finalisation, ce qui génère des incertitudes et retarde les prises de décisions. Le sujet est essentiel car un paquebot a une durée de vie de trente ans.
Justement, la croisière est dans le viseur des défenseurs de l’environnement…
Rappelons que 350 bateaux de croisière naviguent sur les mers du globe, soit seulement 0,7% de la flotte maritime qui, dans sa globalité, est à l’origine de 3% des émissions totales de gaz à effet de serre (GES). Pour autant, cela n’exonère pas les compagnies de faire de gros efforts, pour répondre aux attentes des passagers de plus en plus sensibles au sujet et pour la réputation du secteur. La croisière veut devenir un leader du tourisme durable. Les compagnies y consacrent des moyens considérables depuis plusieurs années, expérimentent des nouveaux carburants moins polluants comme le gaz naturel liquéfié, le méthanol, les biocarburants ou la pile à combustible pour produire de l’électricité, comme le nouveau MSC World Europa. La difficulté est d’accélérer le déploiement de ces solutions. Il faut également accélérer l’installation de prises électriques dans les ports, qui permettent aux bateaux de se brancher à quai et d’éteindre leurs moteurs. Par définition, les paquebots passent beaucoup de temps en escale et ces branchements permettent de diminuer de 20% les émissions de GES pour une croisière de sept jours. A ce jour, seulement onze ports sont équipés en Europe, tous dans le nord du continent. Barcelone et Marseille le seront en 2025/2026. L’Europe s’est fixée pour objectif d’équiper 80 grands ports en 2030. Au-delà, certains ports réfléchissent à devenir eux-mêmes des centres de production d’électricité, par exemple en installant des éoliennes, afin d’éviter d’utiliser le réseau public. C’est important, pour mieux faire accepter la croisière par les populations.
Au-delà de l’environnement se pose également le problème des flux ?
C’est un autre point essentiel sur lequel la CLIA travaille. Contrairement à d’autres secteurs du tourisme, la croisière se gère, elle a la capacité de mieux réguler les flux pour éviter les effets de masse. Pour cela, il nous faut améliorer le dialogue afin de trouver les bonnes solutions. A ce titre, j’ai rencontré les autorités de tous les grands ports afin d’identifier des solutions. Nous avons par exemple signé un accord avec la ville de Dubrovnik, avec la mise en place de différentes mesures : plafond journalier du nombre d’escales, durée minimale d’escale de huit heures pour que la ville en tire le meilleur profit, mise en place d’un service de bus pour gérer les débarquements, développement d’excursions alternatives, création d’une application identifiant en temps réel les points de congestion… La même dynamique a été enclenchée aux Baléares ou Barcelone, où nous travaillons par exemple à multiplier les points de dépose des bus de passagers. Et en France, une charte Croisière Durable a été signé en 2022 entre l’état et les compagnies membres de la Clia qui font escale dans les ports français de Méditerranée, avec treize engagements visant à rendre la croisière plus vertueuse et acceptable par les populations locales.
Repères
En tant que Directrice Générale de CLIA en Europe, Marie-Caroline Laurent contribue à renforcer l’engagement de la CLIA et des compagnies de croisières auprès des institutions européennes sur les questions de la transition énergétique, du tourisme durable et de l’impact économique du secteur en Europe. Marie-Caroline Laurent est une experte des politiques de transport, et a occupé différents postes de direction à l’association du transport aérien international (IATA) pendant près d’une décennie, notamment en tant que directrice adjointe aux affaires européennes. Auparavant, elle a travaillé dans le domaine de l’élaboration des politiques pour l’Association des compagnies aériennes européennes et a également été conseillère parlementaire au parlement européen et responsable des politiques de la Chambre de commerce américaine auprès de l’UE.
Propos recueillis par Thierry Beaurepère
Propos recueillis par Thierry Beaurepère